Lors de l’arrêt brutal de la vie le 17 mars 2020, de nombreux commerçants ont été contraint de fermer leurs portes. Pour certains, il a été possible d’organiser des ventes à distance mais en aucun cas ces deux premiers mois n’ont permis aux commerçants d’assurer un revenu leur permettant de conserver un chiffre d’affaires pour faire face à leurs obligations. Les prorogations selon les cas ont eu pour conséquence des situations particulièrement difficiles.
Si l’état est intervenu et que des dispositifs ont été mis en place pour soutenir les commerçants, il n’en a pas été de même pour les propriétaires dont certains n’avaient que ce revenu pour subsister.
Une partie de la doctrine a alors considéré que l’ « annulation » des loyers covid pouvait être demandée par les preneurs sur les fondements du non-respect de son obligation de délivrance, de la perte temporaire de la chose louée (article 1722 du code civil), l’exception d’inexecution ou encore sur le fondement de la force majeure.
Certaines juridictions de référés ont pu se montrer sensibles à ces argumentations et renvoyer au fond en raison d’existence de contestation sérieuse, mais la jurisprudence s’est assez rapidement orientée vers un rejet de ces argumentations.
Ainsi, les décisions suivantes ont été rendues au fil de la pandémie :
- TJ Annecy Réf 07/09/2020 (n° RG 20/00275) : « Si l’article 4 (ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020) a interdit l’exercice des voies d’exécution forcée et des sanctions associées par le bailleur en vue de recouvrement des loyers commerciaux, ceux-ci restent exigibles »
- TJ Paris fond 10/07/2020 (RG 20/04516) : « L’article 4 interdit certaines voies d’exécution mais ne suspend pas l’exigibilité des loyers. »
- TJ Paris Réf 17/07/2020 (RG 20/50920) : « Le débiteur d’une obligation de paiement d’une somme d’argent ne peut pas s’exonérer de cette obligation en invoquant la force majeure. »
- TJ Paris JEX 03/11/2020 (RG 20/80984) : « Une activité commerciale est demeurée possible malgré les mesures de confinement prises même si les circonstances ont bien évidemment justifié les difficultés pour continuer l’activité. »
- TC Lyon fond 17/11/2020 (RG 2020J00420) : « Les mesures des pouvoirs publics sur l’étalement des loyers montrent que le législateur ne reconnaît pas le caractère de force majeure à la pandémie »
- TJ Angers JEX 28/08/2020 (RG 20/00594) : « Il ressort de ces textes que l'accès du public aux locaux était déterminé non par l'état du local mais par l'activité qui était exercée. Les locaux sont demeurés, même pendant cette période en l'état de remplir l'usage auquel ils étaient destinés. Au surplus, les activités de livraison et de retrait des commandes pouvaient continuer à s'exercer. Il n'est donc pas démontré un manquement du bailleur à ses obligations qui entraînait une impossibilité absolue pour le preneur d'utiliser les lieux loués conformément à la destination du bail. »
- CA Grenoble Fond 05/11/2020 (RG 16/04533) « le bail n'a pas subordonner le paiement du loyer à une occupation particulière des locaux, n'y a aucun taux de remplissage et le bailleur n'a pas manqué à ses obligations contractuelles. »
- TJ Paris 18ème chambre 2ème section 25/02/2021 (RG 18/02353) exclu l’exception d’inexécution : « En application de l'article 1728 du code civil, le preneur est tenu de payer le prix du bail aux termes convenus.
En application des articles 1217 et 1219 du code civil, la partie peut refuser d'exécuter l'obligation contractuellement mise à sa charge, alors même que celle-ci est exigible, si son contractant n’exécute pas l'obligation, dont il est réciproquement tenu, et si cette inexécution est suffisamment grave.
En l'espèce Madame G ne discute et ne conteste pas que la configuration, la consistance, les agencements, les équipements et l'état des locaux à elle remis par Madame B, en exécution du bail les liant, lui permettent d'exécuter l'activité à laquelle ils sont contractuellement destiné et le trouble de jouissance dont elle se prévaut du fait de la fermeture administrative de son commerce entre le 15 mars et le 11 mai 2020 imposé par les mesures législatives réglementaires de lutte contre la propagation de l'épidémie de la COVID-19 n'est pas garanti par la bailleresse.
Madame G n’est dès lors pas fondé à exciper au soutien de sa demande de restitution des loyers par elle payés sur la période précitée, de l’inexécution de Madame B pour cette même période, de ses obligations de délivrer les locaux loués et de garantir leur jouissance paisible à sa locataire. »
- CA RIOMS 02/03/2021 réf (RG 20/001418) : « L'article 4 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'état d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période a pour effet d'interdire l'exercice par le créancier d'un certain nombre de voies d'exécution forcée pour recouvrer les loyers échus entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020, mais n'a pas pour effet de suspendre l'exigibilité du loyer dû par un preneur à bail commercial dans les conditions prévues au contrat. Ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets à compter de l'expiration d'un délai d'un mois après la fin de cette période si le débiteur n'a pas exécuté son obligation avant ce terme.
La SARLU COMCENTRE EST, locataire, reproche à son bailleur de ne pas lui assurer la jouissance paisible des lieux loués conformément à l'article 1719 du code civil. Or, l'impossibilité pour le locataire d'exercer son activité dans les lieux n'est pas la conséquence d'un manquement du bailleur à son obligation de garantie de jouissance paisible, mais d'une décision de l'autorité qui s'impose au locataire comme au bailleur. Le bailleur ne dispose d'aucun moyen pour interdire lui-même l'accès des locaux loués au public. Si le bailleur doit assurer la jouissance du preneur, il ne lui garantit pas que le bail sera fructueux, que le preneur réalisera les profits espérés, cette mesure de fermeture n'affectant pas les lieux loués mais le fonds de commerce, le locataire conservant la possibilité de sous louer, de stocker sa marchandise, de faire des travaux d'amélioration ou de rénovation. »
- Cour d’Appel de Paris du 3 juin 2021 (CA Paris Pôle 1 Chambre 10 RG n° 21/01679) :
« que le législateur a pris en compte les conséquences pour bailleurs et preneurs de la fermeture des commerces pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire, excluant de ce fait l'application à cette situation de l'article 1722 du code civil, de seconde part, que si ces dispositions avaient pour objet, notamment, d'éviter l'acquisition, au profit des bailleurs, de clauses résolutoires, elles n'ont pas eu pour effet de suspendre l'exigibilité du loyer dû par un preneur à bail commercial dans les conditions prévues au contrat. »
- TJ PARIS 20 janvier 2022 (RG 20/06770) par la 18ème chambre 2ème section:
« Le tribunal observe par ailleurs que si l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 a pour effet d'interdire l'exercice par le créancier d'un certain nombre de voies d'exécution forcée pour recouvrer les loyers échus entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020, il n'a pas pour effet de suspendre l'exigibilité du loyer dû par un preneur à bail commercial dans les conditions prévues au contrat.
La société L ne peut donc arguer utilement de ce que le régime juridique d'exception consécutif à l'état d'urgence sanitaire, fonde une dispense d'exigibilité des loyers pendant sa durée d'application.
Par ailleurs, s'il est justifié de circonstances exceptionnelles pendant le cours de la crise sanitaire, incitant les parties au contrat à vérifier si ces circonstances ne rendaient pas nécessaire une adaptation des modalités d'exécution de leurs obligations respectives, ce devoir relevant de l'obligation d'exécuter de bonne foi les conventions n'autorise pas pour autant une partie à s'abstenir unilatéralement d'exécuter ses engagements et ne fonde pas une dispense pour le locataire d'honorer les loyers demeurant exigibles. Son irrespect ne peut en effet avoir pour autre sanction que d'engager la responsabilité éventuelle des parties au contrat. »
La Cour de cassation vient donc avec les trois arrêts rendus le 30 juin 2022 confirmer cette position d’opposabilité des loyers pendant les périodes de fermetures administratives décidées par le gouvernement.
L’arrêt du 30 juin 22 RG 21.19889 vient rejeter une possible application de la perte de la chose louée sous la motivation suivante :
« L'effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut donc être assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil. »
L’arrêt de la même date RG 21.20190 vient lui rejeter l’argumentation d’un non-respect de son obligation de délivrance par le bailleur :
« Ayant relevé que les locaux loués avaient été mis à disposition de la locataire, qui admettait que l'impossibilité d'exploiter, qu'elle alléguait, était le seul fait du législateur, la cour d'appel en a exactement déduit que la mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public n'était pas constitutive d'une inexécution de l'obligation de délivrance. »
Et l’arrêt numéroté RG 21.20127 rejette les deux fondements sous la motivation suivante :
« L'effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être, d'une part, imputable aux bailleurs, de sorte qu'il ne peut leur être reproché un manquement à leur obligation de délivrance, d'autre part, assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil. »
Ces décisions devraient permettre aux bailleurs et preneurs d’avancer en laissant ces questions de loyers « covid » quand aucun arrangement amiable n’a encore pu être trouvé et qu’ils restent dans l’attente d’une décision du tribunal.